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Résilience 101

La règle du pouce

Lors de ma formation de paramédic, on m’a enseigné la règle du pouce… En gros, devant une scène dangereuse comme par exemple une fuite de produits toxique qui dans ta tête te donne juste le goût par instinct de signaler à ton partenaire que la situation est mauvaise donc « pouce par en bas »… On m’a enseigné à tendre le bras devant moi et reculer jusqu’à ce que la scène puisse entrer visuellement à l’intérieure de mon pouce que je tiens à horizontalement dans mon champ de vision. C’est déjà plus positif comme geste et ça permet de reculer et de prendre une distance sécuritaire. Quand toute la cavalerie parvient à sécuriser les lieux c’est le pouce vers le haut qui de façon universelle donne le feu vert à notre équipe que c’est possible d’intervenir de façon plus adéquate.

Quand on est nouveau dans le métier, on est sur l’adrénaline, on manque d’expérience, on est fébrile et notre cerveau n’a pas nécessairement la maturité pour gérer ce que la VRAIE VIE nous réserve. Les deux premières années à bord d’un cheval de fer jaune sont faites surtout par automatisme de ce qu’on a apprit durant la formation. Un jour j’ai vu une dame, coincée dans sa voiture en flamme. Mon pouce a fait très mal ce soir là… Il aurait fallu que je recule mais s’était plus fort que moi et ma peau a rougit aux avant-bras par la chaleur ! Difficile après cette intervention de dormir sans revoir le visage de cette femme puis le feu qui en une fraction de seconde a tout à coup envahi le véhicule. J’ai été obligé de prendre la règle du pouce à quelques reprises durant les jours qui ont suivis afin de prendre de la distance et me pardonner cette impuissance face à cette intervention.

Après cette vie dans les ambulances, je crois que j’ai eu besoin de trois années pour me sentir un peu plus « normal » car durant plus de 20 ans, même si je l’avais choisie et aimée, je ne vivais pas une vie comme la majorité des gens. J’apprends encore à me promener en voiture sans revoir toutes les interventions que j’ai fais à un coin de rue ou dans une maison. Entendre les sirènes sans ressentir le vide et revivre un sentiment d’inutilité reste encore fragile par moment. Il a été vital pour moi de prendre mes distances de ce monde afin de me permettre de découvrir la vie de tous les jours du « métro-boulot-dodo ». La règle du pouce adaptée à la sauce post-ambulance permet à moyen terme de se replacer dans la vie civile. C’est la plus grande résilience que je crois avoir eu à faire dans ma vie.

La pandémie a été pour moi la vraie étape finale de ma transition. J’ai été obligé de me construire en accéléré pour faire face à l’aventure spontanée de mon groupe Facebook. J’ai aussi découvert que l’expérience du monde ambulancier me donne des atouts, des qualités, des acquis très utiles pour aider les gens en crise. J’ai réalisé que j’étais une leader positive capable de diriger une équipe et toutes sortes de situations complexes malgré ma propre réalité. J’ai compris que je n’avais pas perdu ma capacité à toucher les gens avec mes actions, mes écrits et surtout j’ai la capacité de lire l’humain malgré les écrans.

La pandémie m’a obligé à mettre mon pouce verticalement pour encourager les gens, les féliciter et les supporter. Le pouce vers le haut à temps plein pour donner l’exemple a finalement eu un impact sur ma propre vie qui n’était pas à son meilleur. À force de montrer le « tumb up » à y croire et à appliquer ce principe à ma propre existence !

Prendre une distance, trouver des idées hors normes pour s’adapter et garder le moral n’est pas fuir ni vivre dans un monde de licorne. Une personne m’a déjà dit de façon négative que je manquais d’humilité alors que je tentais de voir autrement. Je l’ai malheureusement cru et je me suis laisser assombrir l’esprit. Mais avec le groupe Facebook la vie m’a montrée qui j’étais réellement. Il m’en reste beaucoup à apprendre sur moi mais je peux affirmer que pour faire preuve de résilience, ça prend une force intérieure, une capacité à se remettre en question et sortir de la boîte. Sans humilité envers soi et la vie c’est impossible. Voir grand, plus loin et pousser les limites peut déranger les personnalités qui se nourrissent de contrôle autant que de rigidité. Ça les déstabilisent et ça peut jouer sur le sentiment de sécurité. Être résilient c’est croire en soit, en son potentiel et avoir la force de remonter son pouce juste assez pour réfléchir à d’autres options pour finalement se décider, réussir et le lever fièrement vers le haut… On appel cela le succès.

Avez-vous levé votre pouce pour prendre la distance dans votre vie aujourd’hui?